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Logique d’enchères : la botte secrète pour maximiser ses chances de remporter les AO publics


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Avec une dotation globale de fonctionnement de 27,4 milliards d’euros en 2024, le marché des services publics locaux représente un enjeu majeur pour beaucoup d’entreprises. En effet, les collectivités territoriales doivent assurer des services publics (transports en commun, gestion de l'eau potable et de l'assainissement, gestion des déchets, …) et peuvent choisir de les opérer en propre ou de confier l'opération de tout ou partie d’un service public à un acteur privé sous la forme d'une délégation de service public pour une durée donnée.

La procédure utilisée par les collectivités territoriales pour sélectionner leurs délégataires est un appel d’offres sous pli cacheté.

Il est essentiel pour les entreprises candidates à ces appels d’offres de :

  • maîtriser ce mode opératoire particulier ;

  • comprendre les critères de sélection

  • et de mettre en place une stratégie d’anticipation des offres concurrentes.



1-Un mode opératoire particulier où les candidats disposent d’informations limitées 


À ce jour, la procédure principalement utilisée par les collectivités pour désigner un délégataire se déroule en 4 temps :

1-l'autorité concédante émet un cahier des charges précisant les modalités techniques et les attendus du prestataire

2-les candidats remettent leur offre (incluant l’offre financière) sous pli cacheté

3-l’autorité concédante sélectionne les candidats avec lesquels elle va entrer en négociation

4-suite à la négociation, ces candidats remettent leur meilleure offre.

Les offres restant cachetées, les candidats ne disposent pas d’informations sur les offres concurrentes. Dans ce contexte, il est clé d’anticiper la stratégie des concurrents pour mieux positionner son offre. À tel point que lorsque l'offre de Suez pour l'assainissement des eaux de Paris, d'un montant de 4,3 milliards d'euros sur 12 ans, a fuité, le candidat a dû faire appel à la justice pour invalider la sélection.


2-Un cadre contraint où le critère financier est le seul discriminant final


Grâce à l’expérience accumulée, les autorités concédantes tendent à spécifier précisément leurs attentes et cadrent fortement leur marché, ne laissant pas de place à une différenciation qualitative dans la réponse sous pli cacheté. Il ne reste alors aux candidats que l'offre financière pour se démarquer.

Dans ce contexte, on peut considérer que ces appels d’offres correspondent tout à fait au cadre théorique des enchères au 1er prix sous pli cacheté dans lequel le contrat est attribué à celui qui a fait la meilleure offre. Les candidats doivent arbitrer entre la probabilité de remporter l’enchère et le prix payé en cas d’attribution :

  • d’une part, le candidat peut être tenté de faire une offre haute pour dégager un profit important en cas d’attribution,

  • d’autre part, il doit faire une offre suffisamment basse pour remporter le marché.

        La première étape pour le candidat est d’estimer la valeur qu’il accorde à cette délégation de service public en considérant les paramètres financiers et extra-financiers : coûts estimés pour opérer le contrat, potentiels revenus, évolution des tendances, priorité stratégique du contrat, bénéfice réputationnel lié au contrat, …

La valeur est indépendante des interactions stratégiques. Déterminer la valeur consiste uniquement à évaluer la valeur de la prestation une fois les coûts afférents retranchés. C’est un pur travail technique, de calcul.

L’offre intègre la valeur déterminée, les informations connues sur les concurrents, des paramètres propres à l’entreprise candidate (état du carnet de commandes, stratégie de croissance, …) et ce que le candidat est prêt à mettre sur la table des enchères.  Il y a là une notion de stratégie.

 

Dans un contexte où le candidat dispose d’informations sur ses concurrents, il peut proposer une offre légèrement inférieure à la valeur de ses concurrents et s’assurer la victoire sans pour autant atteindre sa propre valeur. A titre d’exemple, un acteur A estime pouvoir réaliser le marché pour un minimum de 100 tandis que l’acteur B estime pouvoir le faire pour un minimum de 80. Sans aucune information sur l’acteur A, l’acteur B est susceptible de proposer une offre proche de 80, soit la meilleure offre et remporte le contrat. Au contraire, si l’acteur B estime bien la valeur de l’acteur A (à savoir 100), il peut proposer une offre à 99 et tout de même remporter le marché. En proposant une offre proche de 80, il ne maximise pas son profit.

Le processus de remise d'offre sous pli cacheté permet à l’autorité concédante d’inciter les candidats à proposer une offre au plus proche de la valeur qu’ils accordent au contrat (à savoir 80 dans l’exemple ci-dessus) lui permettant d’optimiser ses propres bénéfices.

Ce faisant, les prix étant tirés vers le bas, chaque renouvellement de délégations de service public peut faire l’objet d’une baisse de prix (notamment dans la mobilité ou dans le secteur de l’eau)  

 

3- Une stratégie d’anticipation des offres concurrentes à mettre en place pour maximiser les chances de réussite


La stratégie d’anticipation passe par l’analyse de la concurrence et la modélisation de leur stratégie qui permettent de bien faire l’arbitrage mentionné plus haut, en se positionnant au bon niveau pour maximiser les chances de remporter l’enchère tout en optimisant son profit.

La clé est d’anticiper au mieux les enchères des concurrents pour définir sa propre stratégie d’offre. Cette étape doit permettre au candidat d’estimer les intervalles de prix proposés dans les offres concurrentes pour créer les scénarios potentiels et en déduire une stratégie optimale.

Plusieurs méthodologies sont possibles pour estimer au mieux l'enchère d'un concurrent. Pour ce faire, le candidat peut regarder les enchères passées d'un concurrent, ses déclarations publiques, …

Un concurrent peut faire l'objet de plusieurs hypothèses probabilisées, l'ensemble de ces hypothèses formant un scénario. À titre d'exemple, dans un contexte où le candidat a deux concurrents avec trois hypothèses pour le premier et deux pour le second, six scénarios sont possibles.


Le gagnant étant celui proposant l’offre la plus basse, si le candidat propose :

  • Une offre à 99 : il a 40% de chance de gagner (Scénario n°1)

  • Une offre à 89 : il a 64% de chance de gagner (Scénario n°1 et n°3)

  • Une offre à 79 : il a 80% de chance de gagner (Scénario n°1, n°3 et n°5)

  • Une offre à 69 : il a 100% de chance de gagner (offre plus intéressante que les 6 scénarios)

Au regard des différents scénarios, le candidat doit :

  • construire ses propres stratégies de réponse : quelles réponses sont acceptables et souhaitables ?

  • simuler en croisant les différents scénarios adverses avec les différentes stratégies possibles pour le candidat : quels scénarios seraient à éliminer car le gain serait incompatible avec les objectifs du candidat ?

  • sélectionner la meilleure stratégie en étudiant les résultats des simulations et en prenant en compte ses propres objectifs : quel arbitrage entre soutenabilité financière et autres objectifs ?

Une telle stratégie d’anticipation dépasse le seul cadre de l’estimation de sa propre valeur et prend en compte le positionnement des concurrents.


Conclusion


De notre expérience auprès d’acteurs de l’énergie, de l’audiovisuel, du spectre hertzien et d’autres secteurs dans l’accompagnement de leur stratégie de réponse lors d’enchères aux enjeux financiers considérables, la stratégie d'offre exige une préparation minutieuse et une bonne compréhension du marché. Malgré la confidentialité des soumissions, les entreprises doivent inclure les dynamiques concurrentielles dans leur stratégie. En simulant divers scénarios, les entreprises peuvent mieux anticiper les réactions des concurrents, évaluer les risques et optimiser leurs propositions. Ces simulations permettent de tester différentes approches et de choisir celle qui maximisera les chances de succès tout en optimisant la rentabilité. Nous sommes convaincus qu’en intégrant cette pratique dans leur processus de préparation, les entreprises sont mieux armées pour répondre aux appels d'offres et pour atteindre leurs objectifs de manière efficace et pérenne.


Auteurs :



Fabrice Catala

Senior Partner, Kéa





Hermann Zhang

Manager, Kéa






Jean-Baptiste Vilain

Partner, Veltys du Groupe Kéa










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