Le travail est toujours très important dans la vie des Français. Il est à la fois source de subsistance, moyen de se réaliser, pourvoyeur d’identité pour soi et à l’égard des autres, moyen de trouver sa place dans la société, etc. Et pourtant le lien des jeunes à l’entreprise se délite.
Pour leur donner des clés de compréhension, Kéa a mené l’enquête avec OpinionWay auprès des étudiants, jeunes et moins jeunes actifs pour décrypter leur rapport au travail et leur relation à l’entreprise.
Résultats marquants de notre enquête
Les jeunes se sentent très fortement engagés dans leur travail : 86 % d’entre eux le déclarent. Malgré cela, 64 % des 16-45 ans comptent d’abord et avant tout sur eux-mêmes pour réussir leur vie professionnelle, semblant reléguer le rôle de l’entreprise à l’arrière-plan. À la lumière de notre enquête – et d’autres études et travaux académiques menés sur cette thématique – nous proposons trois pistes d’action pour recréer un lien fort et durable :
rebâtir du lien social au sein de l’entreprise ;
ranimer les communs ;
promouvoir de nouveaux modèles d’engagement et de réussite.
1. Face à la prise de distance des jeunes vis-à-vis de l’entreprise, rebâtir du lien social
Seuls 10 % des jeunes trouvent leur source d’inspiration professionnelle dans le milieu de l’entreprise. En effet, ils se concentrent sur leur sphère privée et sur les éléments qui impactent leur environnement immédiat quand il s’agit de bâtir leur modèle de réussite professionnelle.
Recommandation #1 : Rebâtir et renforcer des liens sociaux horizontaux (coopérations, entraides intergénérationnelles et entre les équipes, cohésion et sentiment d’appartenance)
Recommandation #2 : Rétablir des liens sociaux verticaux par un renforcement du rôle managérial, une plus grande proximité entre les niveaux hiérarchiques et la revalorisation du dialogue social et de la représentation syndicale.
Recommandation #3 : Promouvoir des pratiques de transformation qui s’appuient sur l’autonomie locale, préservent les liens entre collègues et suscitent la confiance dans l’institution.
Zoom sur la nécessaire autonomie locale :
Par leur accumulation et leur accélération, les transformations ont beaucoup d’impact sur le contenu des métiers et les conditions de travail. Les relations de confiance ne peuvent se déployer dans des environnements changeants, voire incertains et de plus en plus optimisés et pilotés à court terme. Chaque projet transformant devrait permettre aux collaborateurs et à leurs managers d’adapter les changements aux particularités locales tout en simplifiant la complexité des systèmes en place. La confiance en soi, dans les collègues et dans l’entreprise est un actif clé qu’aucune transformation ne devrait remettre en cause.
L’exemple de Decathlon [1]
Colonne vertébrale de Decathlon, la codirection du groupe n’est « pas dans une logique « top-down. (…) Ainsi, les responsables de réseaux [ou directeurs régionaux, NDLR] font remonter les attentes et suggestions du terrain et codirigent ainsi l'entreprise avec nous » explique Arnaud Gauquelin, codirigeant de Decathlon France, qui forme un binôme opérationnel avec Fabrice Lisardi. (…) « La responsabilisation des entités locales, basée sur la confiance, permet une prise de décision au plus près des conséquences. »
Cette organisation, qui par sa dimension collaborative crée du lien entre ses membres, est « éloignée d'un modèle rigide qui ne permettrait pas de réagir vite », selon les deux dirigeants, et repose également sur un credo RH bien précis : « le qui avant le quoi ». « Nous inversons les choses : plutôt que de partir du poste, nous partons de la personne », résume Arnaud Gauquelin.
2. Face à un rapport transactionnel à l’entreprise et au travail, ranimer des communs
Dans la manière dont ils priorisent les critères de réussite et font leurs arbitrages entre deux postes, les jeunes semblent dessiner un rapport au travail majoritairement transactionnel : le salaire est parmi les 3 premiers critères de réussite pour 61 % d’entre eux et les conditions de travail (incluant le salaire) ressortent comme la première source de motivation professionnelle à hauteur de 44 %. À l’autre extrême, seuls 6% de notre panel citent le fait d’avoir des responsabilités comme critère de réussite et 2 % le fait de manager. Pour contrebalancer cette tendance au transactionnel, il faut que les salariés et leurs dirigeants prennent la mesure de la valeur de ce qu’ils partagent en commun.
Recommandation #4 : Revaloriser la fonction de management, première incarnation du commun, en lui donnant plus d’autonomie (pouvoir, reconnaissance, protection) et une mission plus clairement dédiée au développement des femmes et des hommes de l’entreprise.
Recommandation #5 : Revaloriser le métier (vs un emploi transactionnel) en développant les compétences et la fierté du travail bien fait.
Zoom sur la revalorisation du métier :
L’impact du métier exercé au quotidien est cité par 23% des répondants comme l’un de leurs 3 premiers critères de réussite professionnelle Ce sentiment d’impact, qu’il s’agisse du sentiment d’être utile à un autre service ou plus largement à la société et au monde, ne peut pas s’épanouir dans ses relations purement transactionnelles entre employeurs et salariés. Cette revalorisation du métier demande d’en investir différentes dimensions : la production de valeur ajoutée au-delà de la valeur économique, la mise en œuvre de technicité et le développement d’un « art ». Là encore, la contribution aux communs permet de revaloriser le métier à deux échelles : celle de l’entreprise et celle individuelle.
L’exemple de Picard [2]
« Le management de proximité est clé quand on entame un plan de transformation. J’ai présenté Proxima à toute l’entreprise pour qu’ils comprennent bien que les actions entreprises ne sont pas une lubie du nouveau dirigeant » explique Cathy Collart-Geiger à propos du plan de transformation de Picard, « Les équipes ont été responsabilisées avec des objectifs clairs sur ce qu’on attend. (…) Nous avons engagé finalement sur tous les chantiers de transformation un maximum de personnes pour qu’elles puissent là aussi en retirer une vraie fierté et contribuer à quelque chose. Et bien sûr, très vite il faut partager les premiers résultats pour prouver les actions bénéfiques du plan. (…) C’est quand tout va bien qu’il faut pour moi pousser les curseurs parce que les équipes sont dans une vraie dynamique. Picard était déjà dans le top des marques préférées des Français. Elle est désormais première !
Recommandation #6 : Construire des cultures d’entreprise propices au développement de liens affinitaires avec ses salariés
3. Face aux transitions sociétales et environnementales, ouvrir le jeu à de nouveaux modèles d’engagement et de réussite
Dans un contexte de transitions environnementales et sociétales, le rapport transactionnel et individualiste au travail et à l’entreprise n’est pas pérenne : pour s’adapter et opérer les transformations nécessaires, l’entreprise doit s’appuyer sur des collaborateurs capables de prendre des risques et d’oser faire différemment, dans une logique de recherche d’impact. Ces “entrepreneurs d’impact” sont une minorité qui émerge dans notre étude (17 % de notre panel priorise la recherche d’impact par rapport au salaire). Ils sont néanmoins encore trop éloignés des entreprises pour que ces dernières et l’écosystème local puissent pleinement bénéficier de leurs actions.
Recommandation #7 : Identifier, recruter, valoriser et développer les entrepreneurs d’impact au sein de l’entreprise.
Zoom sur les entrepreneurs d'impact :
Nous sommes entrés dans une ère de transitions environnementales et sociales dans laquelle personne ne peut prétendre savoir quels sont les compétences et les métiers qui seront nécessaires demain et nous savons déjà qu’il va falloir de plus en plus d’individus parmi nous qui prennent des risques, osent faire et entreprendre différemment. Nous les appelons « entrepreneurs d’impact » et ils représentent près de 17% de notre échantillon. Qui sont-ils ? 80% d’entre eux sont salariés (au 2/3 issus du secteur privé). Ils priorisent leurs critères de réussite professionnelle différemment du reste de notre panel : d’abord l’équilibre en vies personnelle et professionnelle (22%), puis l’impact de leur métier au quotidien (17%) et la liberté d’action et de décision (13%) ; le salaire arrive en quatrième position (11%). Tout l’enjeu pour les entreprises est d’identifier, recruter, valoriser et développer les entrepreneurs d’impact au sein de l’entreprise.
L'exemple des Pépites vertes [3]
« Après avoir dirigé pendant trois ans, la communication du sommet à impact, ChangeNow, Claire Pétreault, 27 ans, a lancé en septembre 2020, « Les Pépites vertes », un site engagé dans la transition écologique qui fédère une communauté active sur les réseaux sociaux (LinkedIn et Instagram, surtout). Auquel elle ajoute, l'année d'après, un « club » (comprenez un « réseau ») qui propose un programme de master class pendant douze mois, par lequel sont déjà passés plus de 200 professionnels engagés. » *** Depuis, elle a étoffé son offre avec de la création de contenus et des interventions inspirantes pour les entreprises et un atelier pour accélérer le potentiel d'impact des personnes en charge de la mobilisation pour la transition écologique, en collaboration avec l’ADEME.
Dans une société française où le travail représente toujours une part importante de l’identité de chacun, cette nouvelle distance vis-à-vis de l’entreprise ne nous semble pas soutenable. Ces trois grandes pistes d’action amènent à revoir en profondeur la conception même du rapport à l’entreprise pour en proposer une vision nouvelle, plus en ligne avec les attentes des jeunes générations et dans la perspective d’une économie souhaitable.
ont contribué : Guillaume Bouvier, François Maisonneuve, Sophie Serratrice, Johanna Abbou, Clarisse Maire
[2] Transformation de Picard : les bonnes recettes de Cathy Collart-Geiger, Republik Retail.fr, 30 août 2023
Auteurs :
Thibaut Cournarie
Partner Kéa
Mathieu Noguès
Directeur de l'Institut Kéa
Marie Le Pargneux
Directrice Kéa
Claire de Colombel
Directrice Kéa
Benjamin Toison
Consultant Kéa
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