Fin février 2020, en quelques jours, la capitalisation boursière des entreprises de l’aéronautique commerciale a fondu de plus de moitié. Le moteur de la croissance de l’industrie française – une croissance double de celle de l’économie européenne depuis près de 10 ans – a calé.
Le secteur le plus prédictible – jusqu’à 8 ans de carnet de commandes pour les monocouloirs – est devenu irrationnellement erratique. Il entraîne dans sa chute tout un écosystème fait de grands groupes européens et de centaines d’ETI et de PME : le GIFAS (groupement des entreprises aéronautiques françaises) compte plus de 400 adhérents et le BDLI, son équivalent allemand, plus de 230. Soit près de 500 000 emplois en Europe !
Cette descente aux enfers compromet aussi des équilibres précieux : la contribution positive à la balance commerciale extérieure, la machine à innover de l’industrie de pointe (avion électrique, baisse des émissions carbone, pilotage autonome…), le dynamisme des territoires et des régions à l’origine d’ambitieux programmes concertés pour industrialiser et se construire un avenir dans les technologies…
L’échiquier a changé, les règles sont modifiées et le bouleversement s’annonce durable
Les différentes analyses prédisent un trafic passagers à fin 2020 équivalent à 70% de celui de 2019 pour les plus optimistes, à 40% seulement pour les plus pessimistes. Le retour au niveau de 2019 se fera attendre : 2023 peut-être, voire 2025 suivant les rebonds de la pandémie et la capacité à la contenir. Et cela sans compter les conséquences comme les changements des habitudes de déplacement.
Bien entendu, ces prévisions ne sont pas homogènes : les vols domestiques sont les plus rapides à reprendre, les long-courriers les plus tardifs. Ainsi on peut projeter un retour en vol de toute la flotte des A320 d’ici à 2022, alors qu’environ 65% seulement des avions des familles « anciennes générations » de long-courriers retrouveront les airs à terme.
Retournons six mois en arrière : les prévisions d’activité industrielle permettaient de servir en avions neufs les opérateurs pour deux besoins : accompagner la croissance du trafic aérien passagers (+4,5%/an mondialement), et renouveler des appareils d’ancienne génération pour de plus confortables et surtout plus économiques. 60% de la production était destinée à la croissance, 40% au renouvellement. Les conséquences aujourd’hui sont claires : d’une part, en absence de croissance de trafic, les opérateurs n’ont pas besoin de nouveaux avions ; d’autre part, avec la chute des revenus, ils ne savent pas financer le renouvellement de leur flotte vieillissante.
Il a fallu trois décennies à cette industrie européenne pour rivaliser avec ses concurrents américains et pour contenir, par l’avance technologique, les projets émergents russes, chinois, coréens ou japonais. Il y a eu des succès et des embûches, des joies et des peines. Il nous faut conserver cette position de coleader mondial.
Avec ces perspectives dures, seule une stimulation extérieure peut faire passer le cap à notre industrie aéronautique. Les mesures annoncées par les États sont de cette nature. Elles doivent permettre de maintenir le niveau d’activité à plus de la moitié de son nominal. Ce qui est en jeu ? La poursuite des programmes de R&D ; le maintien en activité, même ralentie, de l’outil productif ; la continuité d’un flux de talents formés aux métiers ; la poursuite de l’introduction des nouvelles technologies ; la poursuite de l’expansion à l’international.
Cependant, il faut être réaliste : les entreprises du secteur sont vulnérables, elles sont restées trop petites et trop peu présentes en dehors de leurs frontière domestiques. Notre étude de 2018 basée sur 29 critères révélait que 50% des fournisseurs français et allemands étaient à risque fort d’exclusion des prochains programmes avions, voir même du secteur aéronautique plus généralement. Ces points de faiblesse étaient vrais il y a 24 mois quand tout s’annonçait pour le meilleur, ils redoublent de criticité en période de coup de frein.
De quelles natures sont les transformations à mener ? Rapprochement stratégique, recapitalisation, rationalisation, équilibre avec une activité militaire ou dans les services, pénétration à l’international accélérée… elles sont spécifiques à chacun des cas.
Ce qui est commun c’est l’esprit dans lequel mener ces transformations : elles doivent être nécessairement empreintes de responsabilité. Les dirigeants de ces entreprises ainsi que les partenaires industriels et financiers ont la lourde charge non seulement d’adapter les entreprises à la chute dramatique d’activité mais également la responsabilité de recomposer le paysage industriel et de réinventer un modèle. Un modèle européen de coalition d’entreprises partageant une vision de l’industrie, qui s’impose face aux modèles américains et asiatiques.
François Maisonneuve
Partner
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