Le battage médiatique autour du phénomène ChatGPT, au cœur de l’actualité, n’est que la partie émergée de l’iceberg de la révolution par les Intelligences Artificielles dites génératives (GenIA). Notre conviction : la technologie est désormais disponible et aura nécessairement de nombreux impacts sur les entreprises. La question est donc moins « faut-il adopter l’IA ? » que « comment l’adopter ?» : au prix de quels choix et arbitrages l’IA pourra-t-elle s’intégrer à votre entreprise, à quelle échéance, et pour quels gains recherchés ? La façon dont vous adopterez l’IA définira le monde dans lequel nous vivrons à l’avenir.
Des transformations de l'entreprise par l'IA au service de la compétitivité... et du bien commun ?
Les premières promesses de la GenIA sont grandes : de l’automatisation des tâches répétitives et à faible valeur ajoutée jusqu’aux travaux complexes d’analyse, de création ou d’écriture, elle vient ainsi percuter de nombreux métiers et même décaler les leviers de compétitivité sur certains secteurs. Selon une étude récente de Goldman Sachs[1], c’est 300 millions d’emplois auxquels pourrait se substituer une GenIA d’ici à 2040.
Si le risque est grand de basculer dans le technosolutionnisme – qui a déjà montré ses limites –, il est en revanche intéressant de sortir de l’opposition Homme / Machine pour penser les grandes transformations de l’entreprise pour des usages au service de (et non en substitution de) l’humain, la société, et le bien commun. Cette réflexion suppose toutefois de lever certains freins en entreprise lorsqu’on sait que 40 % des professionnels pensent que l’IA serait vécue comme une concurrence pour les équipes, un sentiment partagé par 52 % des actifs qui voient dans cette technologie une menace pour leur propre emploi (selon notre étude[2]).
Qu’en est-il aujourd’hui ? Nos clients[3] nous remontent déjà des champs d’application et cas d’usage fréquents lorsque nous discutons de leur projet d’IA : maximisation de la performance commerciale et marketing (prévision de ventes, satisfaction client, hyper personnalisation des produits...) ou optimisation des process industriels (jumeau numérique, robotisation, automatisation du contrôle qualité, stockage prédictif ou maintenance prédictive, réduction des dépenses énergétiques). Ces retours d’expérience témoignent d’une capacité pour toute entreprise, indépendamment de sa taille ou son secteur, à adopter l’IA à divers niveaux de maturité et de fonctions de l’entreprise. Dès lors, par où commencer ?
01 Développer un questionnement rigoureux et laisser le temps aux POC
Quel que soit le parcours ou le but recherché concernant l’IA, un questionnement rigoureux est clé. Notre conviction intime est que tout projet IA et plus spécifiquement GenIA s’articule autour de deux grands thèmes : à quels objectifs business doit-il répondre (cas d’usages, ROI, volume de données) ? Mais également, comment opérer en responsabilité (confidentialité, souveraineté, adhésion des équipes opérationnelles). En tant que dirigeants, il est donc pertinent de prendre le temps pour poser les objectifs, informer, sensibiliser, embarquer et décider, en se posant les bonnes questions (ici, chuchotées par ChatGPT) :
Quels sont les objectifs poursuivis par l’entreprise à travers la GenAI (générer du lead, améliorer la productivité ou le service client, …) ? Quels KPI associés seront à suivre dans la durée ?
Quelles seront les données à injecter dans l’IA pour son bon fonctionnement avec quel niveau de qualité ? Sont-elles disponibles et doivent-elles être collectées et retraitées en amont ?
Quelle équipe est la plus adaptée pour orchestrer ce déploiement ?
Quel est l’accès des équipes à la GenIA (intégration ou non), et quelles sont les modalités de travail ?
Comment embarquer les équipes dans ce nouvel usage ? De quoi ont-ils besoin ? Comment mettre une formation en continu intégrant les évolutions de l’IA ?
Quels garde-fous juridiques et quelles mesures de confidentialité sont à anticiper pour limiter les risques ?
Auxquelles nous ajoutons le questionnement, à notre avis essentiel, de l’impact et d’agir en responsabilité :
Comment gérer la confidentialité et la souveraineté des données ?
Quel management mettre en place pour garantir à la fois l’adhésion des équipes au projet et aux technologies, en plus de leur formation ?
La réussite d’un projet est toujours fortement conditionnée par sa bonne préparation et la constitution de son équipe. Dès lors, il faut savoir prendre le temps pour les premiers POCs afin d’apprendre de la technologie, de monter en compétences et d’atteindre plus tard un passage à l’échelle : s’adapter aux caractéristiques inhérentes à l’entreprise sans vouloir dupliquer le succès d’une autre et trouver son chemin pour contribuer au bien-être des collaborateurs et à la société.
02 Identifier les cas d'usage différenciants et contributifs de cette double logique économique / bien commun
Cet exercice de mise à plat et de sélection des cas d’usage avec une analyse éclairée est intéressant pour éviter des déploiements coûteux, lourds et susceptibles de dégrader la fidélité client en cas d’erreur. Ils s’échelonnent tout au long de la chaîne de valeur d’une entreprise et peuvent concerner :
Marketing (contenus) et service client (analyse automatique de feedbacks, automatisation de réponse et informations)
Collaboration (à l’image de Microsoft Co-pilot : amélioration de slides PowerPoint, rédaction de comptes-rendus de réunions, synthèses, …)
Recrutement (automatisation des tâches, recherche de candidats, onboarding automatisé) et formation (création de programmes et contenus personnalisés)
Analyse de données (notamment sur de grands volumes non-structurés)
Opérations (identification d’erreurs, liste de tâches, comparaison de documents)
Juridique, risque (création de document, analyses, …)
IT (autour du code : écriture, correction, documentation)
Selon les professionnels que nous avons interrogés[4], officiant dans les secteurs numériques et nouvelles technologies, la pertinence des IA réside principalement dans la substitution de travaux répétitifs (63 %), la recherche documentaire ou la traduction (62 %) et la détection des fraudes (56 %). Les travaux de rédaction automatique et le développement de la relation client ne sont jugés respectivement pertinents qu’à 29 % et 24 %. À court terme, l’automatisation permet des gains de productivité, avec un besoin humain pour opérer la demande, monitorer et finaliser le travail. À moyen terme, les GenIA permettront de réinventer des business modèles par l’innovation à laquelle elles permettent d’accéder.
03 Adapter / reconfigurer son modèle
Le déploiement de GenAI dans l’entreprise suppose inexorablement une adaptation sinon une transformation de son modèle organisationnel, managérial et opérationnel.
Le projet peut notamment requestionner la répartition des rôles et responsabilités, la structuration (équipes dédiées ou non) et les interactions entre départements pour une collaboration efficace et le besoin en nouvelles compétences tout de suite et à moyen terme. Les GenIA sont par ailleurs des outils puissants pour aider vos salariés dans leur quotidien en réduisant la charge des travaux rébarbatifs ou répétitifs pour se consacrer aux projets à forte valeur ajoutée, améliorer leur qualité de vie au travail, voire dégager du temps pour les former sur de futurs outils.
Avec des métiers percutés, le rôle du manager se décale également avec une préoccupation majeure autour de l’articulation entre l’humain et l’IA pour sécuriser la cohérence et l’interprétation des résultats. Si l’IA peut répondre à une quête de sens au travail par l’automatisation des tâches à faible valeur, elle ne pourra pas apporter de réponse à la demande de reconnaissance. Le manager et l’entreprise plus globalement doivent également jouer un rôle dans la sécurisation d’une utilisation éthique et adaptée de l’IA dans l’entreprise, en cohérence avec la culture de l’entreprise et ses valeurs (notamment par l’embarquement, l’information, la formation, …).
Enfin, d’un point de vue opérationnel, deux chantiers clés seront à impulser : le système de données et son intégration avec l’IA ainsi que la protection des données, pour notamment limiter les problèmes de cybersécurité, de désinformation et de confidentialité.
Devenues une opportunité pour les entreprises de transformer les business modèles, les IA vont également largement refaçonner certaines interactions avec la société au sens plus large. Les entreprises ont un rôle clé à jouer pour orienter ces transformations. Des arbitrages sont à mener pour positionner l’IA sur les bons cas d’usage permettant différenciation, compétitivité et contribution au commun.
Est-ce qu’un moratoire de 6 mois serait utile, comme le demande certains dirigeants de la tech[5] ? Il n’est pas certain que la course au perfectionnement des GenAI soit arrêtée pour autant ; cela laissera éventuellement le temps au régulateur de s’adapter, car il est impératif de poser le cadre pour ces nouvelles technologies. Cela pourrait également être une opportunité pour la France ou l’Europe de dessiner un projet commun d’IA générative, pensé en filière, avec un cadre commun pour respecter régulations et souveraineté des données, comme c’est le cas pour les grands projets de recherche nucléaire (CERN), cybersécurité (ENISA) ou de Cloud (GAIA-X).
[1] Les Echos, 28/03/23, « ChatGPT et l'IA menacent 300 millions d'emplois dans le monde, selon Goldman Sachs », https://www.lesechos.fr/tech-medias/intelligence-artificielle/chatgpt-et-lia-menacent-300-millions-demplois-dans-le-monde-selon-goldman-sachs-1919968 [2] Etude Odoxa pour Kea et BFM business réalisée du 2 au 6 février 2023, auprès d’un panel représentatif de 1005 Français. [3] Enquête Kea Apax pour le METI « Intelligence Artificielle : l’expédition du dirigeant » juin 2022.
[4] Etude Odoxa pour Kea réalisée du 2 au 6 février 2023, auprès d’un panel représentatif de 320 professionnels de la tech et du numérique.
[5] Les Echos, 29/03/23, « IA : Elon Musk et des experts appellent à une pause, évoquant des risques majeurs pour l'humanité », https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/ia-elon-musk-et-des-experts-appellent-a-une-pause-evoquant-des-risques-majeurs-pour-lhumanite-1920243
Auteur :
Claire Gourlier
Partner Kéa Euclyd
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